Les biosimilaires Coll. LIVRE
Auteurs : Prugnaud Jean-Louis, Trouvin Jean-Hugues
Les médicaments biologiques et biotechnologiques, de par leur origine, la complexité de leur structure moléculaire et de leur profil d'efficacité sont des produits dont la copie est relativement difficile. Or, comme pour les médicaments chimiques, les médicaments biologiques, et notamment les protéines recombinantes arrivées sur le marché au début des années 1990, ne sont plus couverts par leur certificat de protection ouvrant ainsi la possibilité de soumettre des demandes d'AMM pour la même substance active de référence.
C'est pour répondre à cette nouvelle situation que la Commission européenne a élaboré un statut réglementaire dit "médicament biologique similaire à un produit de référence" créant ainsi le concept de "médicaments biosimilaires". Ce concept repose sur un développement "allégé" du biosimilaire, qui doit établir, au moyen d'études de comparabilité, la similarité de celui-ci avec la référence, en termes de qualité, sécurité et efficacité.
Si pour les médicaments chimiques génériques la substitution s'impose de droit, il n'en est pas de même pour les biosimilaires qui ne sont pas inscrits sur les listes de génériques substituables, car par définition les biosimilaires ne remplissent pas les conditions figurant dans la définition des médicaments génériques. La décision d'interchanger un médicament de référence par son biosimilaire repose sur un acte thérapeutique mettant en jeu le patient et la typologie de sa maladie, les caractéristiques du médicament et les circuits particuliers de distribution de ces produits. De fait, la complexité de la fabrication et les coûts d'investissement pour la commercialisation des biosimilaires ne sont pas du même niveau que pour les génériques.
L'ouvrage aborde ici le cadre juridique et réglementaire, analyse le contexte des médicaments de biotechnologie et de biologie, leurs conditions d'enregistrement, apporte des éclairages sur la problématique du post-AMM sans oublier les coûts financiers engendrés qui doivent être discutés.
Il s'adresse en priorité aux médecins prescripteurs et aux pharmaciens hospitaliers, mais aussi à l'ensemble des acteurs de santé désireux de mieux comprendre l'émergence de ces nouveaux médicaments dans la perspective de leur prescription et de leur utilisation.
- Caractéristiques des biosimilaires
- Du concept biosimilaire à l'AMM
- Immunogénicité
- Substitution et interchangeabilité
- Les G-CSF : le point de vue du médecin onco-hématologue
- Le point de vue du médecin oncologue
- Biosimilaires : quelques aspects de gestion des coûts et des risques
Planter le décor pour les biosimilaires
Les médicaments biologiques, y compris les médicaments issus
de la biotechnologie (souvent appelés « produits biologiques »), détiennent
un record impressionnant dans le traitement de nombreuses
maladies graves et leur marché augmente plus vite que l’ensemble des
produits pharmaceutiques. L’insuline produite à partir des techniques
de recombinaison de l’ADN fut la première protéine thérapeutique
à être approuvée. Elle pénétra le marché américain en octobre 1982
puis obtint son autorisation de mise sur le marché en Europe. Cet
événement créa un « climat de ruée vers l’or » et les progrès dans la recherche
et le développement de ces médicaments innovateurs prirent
un essor significatif. Actuellement, plusieurs centaines de produits
biologiques (dans le sens large du terme) ont été approuvés en Europe
et aux États-Unis, et le nombre de demandes d’autorisation de mise
sur le marché n’a cessé de croître. Cependant, la recherche et le développement
des produits médicaux dérivés de la biotechnologie est
onéreuse, y compris le travail considérable consacré à définir et maintenir
un processus de fabrication bien contrôlé. Pour cette raison, le
traitement des patients devient coûteux, ce qui représente un fardeau
pour les plans d’assurance santé et pourrait aussi limiter l’accès des
patients à ces médicaments. L’expiration imminente des brevets et/ou
de la protection des données des premières biothérapeutiques innovantes
a apparemment créé un autre « climat de ruée vers l’or » avec
un travail sur des « versions génériques » de produits « similaires » à
l’original, dépendant en partie, pour l’obtention de leur patente, des
données des produits d’origine. Comme nous l’apprendrons dans cet
ouvrage, le terme « générique » ne peut pas être utilisé pour les produits
biologiques qui ne sont que des « versions copiées » des produits autorisés.
La principale raison est la complexité des structures
et des procédés de fabrication des produits biologiques. Même avec
les méthodes physicochimiques et biologiques de pointe, dont la sensibilité
est très élevée, on ne peut conclure que le produit d’origine et
sa version copiée sont « essentiellement similaires » ou même « identiques
». Il peut y avoir des différences infimes qui peuvent avoir un
impact considérable sur le comportement non clinique et clinique,
comme l’innocuité ou l’efficacité. C’est la raison pour laquelle le
terme « biogénérique » est obsolète et un autre terme, notamment
« médicament biologiquement similaire » ou « biosimilaire » comme
plus employé dans le jargon, a été créé.
L’octroi des autorisations de mise en vente des biosimilaires est
devenue une réalité en Europe depuis que le comité scientifique
des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne
des médicaments (EMEA) a établi un cadre régulateur pour faciliter
le développement des médicaments biologiquement similaires
et a émis en 2006, une opinion favorable pour deux biosimilaires
(les hormones de croissance Omnitrope® et Valtropine®). Plusieurs
aspects de ce cadre et de son application seront discutés dans cet
ouvrage. Quoique l’autorisation des premiers biosimilaires ait été un
premier pas pour les autres produits suivant un parcours « biosimilaire
», une telle approche a ses limites car les essais cliniques sont
toujours requis et un parcours de type « générique » n’est pas encore
possible. Cependant, certains aspects généraux sont déjà clairs :
– les directives pour le développement des produits biosimilaires
peuvent être mises en oeuvre ;
– plusieurs aspects de « l’exercice de comparabilité » que les instances
régulatrices connaissent bien avec les modifications dans
le procédé de fabrication, sont applicables et pourraient déjà être
immédiatement appliqués ;
– comme démontré dans le cas de la Valtropine®, l’utilisation de
différentes cellules hôtes pour le produit biosimilaire et le comparateur
est possible en principe et ;
– bien que requis, le programme clinique pourrait être écourté par
rapport à un programme de développement complet et a pour
but principal d’établir la « similarité ».
Les grandes lignes pour le développement des médicaments biosimilaires
dans l’Union européenne comprennent :
– la démonstration de biosimilarité en termes de qualité, de sécurité
et d’efficacité par rapport à un produit de référence autorisé
dans l’UE. Ainsi, tous les essais importants doivent être strictement
comparatifs et le même produit de référence doit être utilisé
tout au long du programme de développement ;
– l’utilisation d’un modèle d’étude « sensible » (là aussi, les patients
sont inclus, voir ci-dessous) capable de détecter d’éventuelles différences
entre le biosimilaire et le produit de référence ;
– la démonstration d’une efficacité équivalente plutôt que non inférieure,
car cette dernière n’exclut pas la possibilité d’une efficacité
supérieure (seul un essai « d’équivalence » peut, a priori, établir
une « similarité »).
Ce dernier point fait partie des questions les plus fréquemment
posées. Que se passe-t-il lorsque le biosimilaire est effectivement plus
efficace que le médicament de référence ? N’est-ce pas mieux pour le
patient ? Cependant, la réponse est claire : une efficacité supérieure,
d’une part, contredirait l’hypothèse de similarité, et pourrait donc
empêcher l’extrapolation à d’autres indications du produit de référence,
particulièrement celles nécessitant des dosages différents ; elle
pourrait, d’autre part, impliquer des problèmes de sécurité, car s’il se
révélait plus puissant, le produit pourrait aussi être plus « efficace » de
façon indésirable et des problèmes d’innocuité pourraient surgir avec
la/les dose(s) recommandé(es) du produit de référence, particulièrement
pour les médicaments ayant un indice thérapeutique limité.
Dans le cas où la similarité avec le produit de référence a été démontrée
de façon convaincante pour une indication clé, l’extrapolation
des données d’efficacité et d’innocuité à d’autres indications du produit
de référence, non étudiées pendant le développement, pourrait
s’avérer possible, si justifiée sur le plan scientifique. Souvent, cela
n’est pas aussi simple, car plusieurs éléments essentiels doivent alors
être réunis, tels que l’implication du/des même(s) mécanisme(s)
d’action pour chaque indication, ou par exemple, l’implication
du/des même(s) récepteur(s) médiateur(s) de ce(s) mécanisme(s)
d’action(s). C’est un aspect qui sera repris dans cet ouvrage.
Il est évident que, même si une diminution de l’inventaire des données
est possible pour un biosimilaire, l’inventaire des données en
préautorisation est quand même considérable. Le dossier CMC
(chimie, production et contrôle), également appelé dossier « qualité
» dans le jargon des instances régulatrices est même plus exigeant
lorsqu’il s’agit d’un développement « autonome » d’un nouveau
médicament biologique. Premièrement, un dossier qualité complet
doit être fourni afin de satisfaire les normes de l’instance régulatrice
au même titre qu’un médicament biologique original. Ajouté à cela,
un exercice de comparabilité détaillé au produit de référence, concernant
la substance médicamenteuse et le produit médicamenteux est
nécessaire et représente une condition additionnelle, exclusive aux
biosimilaires. De même, des données sur l’efficacité et la sécurité sur
l’humain sont toujours nécessaires, mais – et cet aspect est au coeur
du développement d’un biosimilaire – à un degré moindre pour le
développement d’un médicament original. C’est là, et avec la possibilité
d’omettre certains essais non cliniques normalement nécessaires
pour une substance originale, que se trouve la possibilité de
réduire considérablement le coût de développement. L’importance
de la diminution des données au cours des essais non cliniques et
cliniques dépend de plusieurs considérations, notamment du niveau
de précision du caractère de la molécule par des méthodes d’analyse
de pointe, des différences observées entre le biosimilaire et le produit
de référence, et enfin de l’expérience clinique acquise avec le produit
de référence et/ou la classe de la substance.
La difficulté rencontrée par les développeurs de biosimilaires est
qu’il n’y a généralement pas d’accès direct aux données propriétaires
des sociétés créatrices. Le développeur d’un biosimilaire doit alors se
procurer le médicament dans une pharmacie, purifier la substance
médicamenteuse et développer un procédé afin de pouvoir fabriquer
le biosimilaire ; en d’autres termes, le développement d’un biosimilaire
nécessite la mise en place d’un nouveau procédé de fabrication
en partant de zéro. Si le cadre européen des biosimilaires avait exigé
un procédé de fabrication identique à celui des produits d’origine,
les programmes de développement des biosimilaires auraient automatiquement
été rendus difficiles, voire même impossibles. Il
est mentionné, dans les directives respectives sur les biosimilaires1
qu’« il n’est pas attendu que les attributs de qualité du similaire biologique
soient identiques à ceux des médicaments de référence ».
Cela découle du fait que le produit biotechnologique est défini selon
son mode de fabrication, y compris toutes les impuretés liées aux
procédés et au produit, les microhétérogénéités, les excipients, etc.
(« le procédé détermine le produit » ou « le procédé est le produit »).
Comme la méthode de fabrication des médicaments biologiques est
complexe, il peut y avoir de légères différences de la substance active
entre la référence biologique et le biosimilaire ; cependant, la signification
de « légères différences » sera malheureusement liée à une
décision au cas par cas, basée sur les données et diverses considérations
telles que la complexité de la molécule en question, la variabilité
inhérente connue comparée au médicament de référence, un
éventuel impact clinique, etc. On peut facilement admettre qu’un
produit biologique est donc plus que la seule substance active et qu’il
comprend aussi les impuretés mentionnées précédemment, etc. De
1 (Guideline on Similar Biological Medicinal Products Containing Biotechnology-
Derived Proteins as Active Substance: Quality Issues CHMP/49348/05)
« légères différences » peuvent avoir un impact important, mais en
théorie, certaines différences (par exemple en impuretés), peuvent
par ailleurs n’avoir aucun impact.
Alors, comment résoudre ce problème et établir la biosimilarité ?
Premièrement, il faut créer un important support de données de
pointe issues de la chimie, de la fabrication et du contrôle (« données
de qualité ») qui pourra non seulement satisfaire les pharmacopées,
mais être aussi strictement comparatif au produit de référence. Cela
sert de base pour diminuer les exigences en matière de données non
cliniques et cliniques. En ce qui concerne les données cliniques, il
existe au moins une différence essentielle dans les programmes de
développement clinique concernant les développements « autonomes
», tels que les produits biologiques ayant un mécanisme d’action
original, et cette différence conceptuelle est parfois difficile à accepter
par les cliniciens. Le but d’un programme de développement
de biosimilarité n’est pas d’établir des bénéfices pour le patient ; le
produit de référence les a déjà établis depuis des années. Le but d’un
programme de développement de biosimilarité est d’établir une biosimilarité
et s’il y a des différences cliniques pertinentes, d’utiliser un
modèle clinique pertinent. En fait, les patients sont, dans ce cas, assimilés
à des « modèles » pour établir la similarité. Cela signifie que
la conception de l’essai (y compris le critère d’évaluation primaire,
le critère d’évaluation secondaire, le choix des patients, etc.) peut
suivre une philosophie différente de celle de la substance originale.
Par exemple, pour une indication clinique pouvant présenter différents
stades de gravité, il serait peu judicieux d’inclure des patients
présentant les différents stades de la maladie. Sil se produisait – en
dépit d’une répartition aléatoire et/ou d’une stratification – une distribution
inégale de ces nombreux facteurs tels que des anamnèses
différentes, des prétraitements différents, des présentations de la
maladie au moment de l’entrée dans l’essai différentes, etc., les différences
entre deux bras comparant le médicament biologique et le
biosimilaire pourraient être difficiles à interpréter ; une différence
perçue peut-elle être attribuée à une différence au niveau des molécules
? Et dans ce cas, que conclure si on ne retrouve pas de différences
mesurables sur le plan analytique ? Ou bien, peut-on expliquer
les différences enregistrées par les différences entre les patients
des groupes ? En d’autres termes, en ne se concentrant pas sur une
population homogène de patients, il peut se faire que le critère d’évaluation
mesure les différences dans la présentation de la maladie au
lieu de mesurer les différences entre les molécules. De même, en suivant
cette philosophie, le critère d’évaluation clinique le plus sensible
serait plus pertinent qu’un critère qui évaluerait le bénéfice clinique.
Actuellement, les anticancéreux biologiques possédant un mécanisme
d’action cytotoxique ne sont toujours pas autorisés en tant que
biosimilaires ; néanmoins, des discussion futures devront éclaircir le
choix du critère d’évaluation pour de tels scénarios. Doit-il être un
critère d’évaluation plus sensible et mesurable, comme le taux de réponse
tumorale, ou doit-il être un critère d’évaluation clinique plus
pertinent, comme la survie globale des patients cancéreux ? Le taux
de réponse tumorale ne mesure que l’activité du médicament et non
pas le bénéfice qu’en tire le patient. Par ailleurs, une substance hautement
active qui donne un taux élevé de réponse tumorale peut aussi
être considérablement toxique et ainsi réduire la survie, ce qui évidemment
n’est pas un bénéfice pour les patients tout en remplissant
les conditions du critère « taux de réponse tumorale ». Par conséquent,
pour les nouvelles substances, un critère d’évaluation de bénéfice
associé au temps est généralement recherché, par ex., la survie
globale. Cependant, on peut plaider que le bénéfice de survie a déjà
été établi depuis des années par le produit original et que pour le biosimilaire
il n’est pas nécessaire de répéter cette même évaluation. De
telles considérations sont toujours sujettes à des débats passionnés.
Depuis que les biosimilaires sont devenus une réalité, les développeurs
étendent leurs recherches vers des molécules plus complexes
– y compris les anticorps monoclonaux qui sont bien plus
complexes que les biosimilaires autorisés actuels (comme les hormones
de croissance). Il est temps de discuter de l’état actuel des
connaissances en produisant un ouvrage condensé contenant tous
les aspects pertinents relatifs à ce sujet. Je suis certain que cet ouvrage
n’intéressera pas seulement les développeurs de biosimilaires ou les
instances régulatrices – je suis persuadé que les médecins aussi, qui
sont les « utilisateurs » de biosimilaires, doivent savoir comment les
biosimilaires sont conçus et développés, car ils sont tout à fait différents
des génériques, ce qui a des répercussions cliniques certaines.
Christian K. Schneider
Président CHMP Working Party on Similar Biological (Biosimilar)
Medicinal Products Working Party (BMWP), European Medicines
Agency, Londres, Royaume Uni.
Paul-Ehrlich-Institut, Federal Agency for Sera and Vaccines,
Langen, Allemagne.
Twincore Centre for Experimental and Clinical Infection Research,
Hanovre, Allemagne.
Christos Chouaïd
Service de pneumologie
Hôpital Saint-Antoine
UMR Inserm S-707
Paris
Didier Kamioner
Service de cancérologie
et d’hématologie
Hôpital Privé de l’Ouest
Parisien
Trappes
Francis Megerlin
PhD MCF droit et économie
de la santé
Liraes
Université Paris Descartes
Paris
Senior Fellow BCHT
Mira Pavlovic
DEMESP
Haute Autorité de santé
Saint-Denis La Plaine
Jean-Louis Prugnaud
Service de pharmacie
Hôpital Saint-Antoine
Paris
Jean-Hugues Trouvin
Département des sciences
pharmaceutiques
et biologiques
Université Paris Descartes
Paris
Date de parution : 06-2011
Ouvrage de 118 p.
16x24 cm