Diagnostic, aménagement et gestion des rivières (2° Éd.) Hydraulique et morphologie fluviales appliquées
Auteur : DEGOUTTE Gérard
Cette nouvelle édition de l’ouvrage de Gérard Degoutte, professeur à Agro- ParisTech et chercheur au Cemagref (devenu Irstea), constitue un approfondissement important et une mise à jour opportune de la première édition, parue en 2006. Il s’agit d’un outil d’enseignement exceptionnel pour tous ceux, étudiants ou professionnels, qui veulent comprendre le comportement des fleuves et rivières dans leur milieu naturel ; pour tous ceux, encore, qui veulent savoir comment concevoir, construire ou entretenir les aménagements capables de dompter, au bénéfice de l’homme, l’ardeur impétueuse de ces eaux vivantes, sans entraver du même coup et de façon irrémédiable le fonctionnement naturel des multiples écosystèmes qui leur sont associés ; pour tous ceux, enfin, qui veulent au contraire restaurer le « bon fonctionnement » des dits écosystèmes.
Plusieurs raisons conduisent aujourd’hui à s’intéresser, davantage que par le passé, aux fleuves. Tout d’abord, il faut insister sur l’accroissement continu de la demande en eau : le flux des eaux météoriques sur les continents, estimé à un total de 113 000 km3/an, se concentre principalement dans les rivières en crue, données pour charrier vers les mers 26 000 km3/an. Les écoulements lents par le milieu souterrain et les rivières hors crues sont limités à 10 000 km3/an, tandis que la fusion des glaces polaires s’élève à 3 400 km3/an. Seule l’évapotranspiration surpasse ces flux, estimée à 73 000 km3/an, appelée par les hydrauliciens le « déficit d’écoulement », car elle ne se retrouve pas dans l’eau des rivières, et par les écologistes « l’eau verte », car elle permet le maintien de toute la végétation naturelle et des cultures non irriguées. Les prélèvements de l’homme sur ce cycle sont actuellement voisins de 5 000 km3/an, sur un total éventuellement utilisable réputé être de 13 500 km3/an. Il faut y ajouter environ 6 500 km3/an d’eau des précipitations utilisée directement par l’agriculture dite pluviale. Les nappes souterraines, là où elles sont présentes, étant la plupart du temps déjà très exploitées, voire par endroit surexploitées par rapport à leur rythme naturel d’alimentation, la seule possibilité d’augmenter significativement les prélèvements pour satisfaire aux besoins croissants de l’humanité est d’aménager et de gérer mieux les rivières, tant en crue qu’en étiage, pour y prélever les ressources nouvelles requises pour nourrir et abreuver les soixante-quinze millions d’individus qui viennent, bon an mal an, chaque année grossir les rangs des habitants de la planète. C’est une exigence sociale prioritaire, qui s’exprime principalement dans les pays en développement. L’aménagement hydroélectrique des Trois-Gorges, en Chine, en est un exemple récent, et d’autres très grands aménagements hydrauliques (barrages, hydroélectricité, transferts à longue distance, périmètres irrigués, etc.), pour un temps abandonnés par les financements internationaux, vont bientôt voir le jour, en Chine mais aussi dans le reste de l’Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud. Avec la raréfaction attendue des ressources en eau sous les latitudes méditerranéennes, du fait du changement climatique, de tels aménagements seront sans doute aussi nécessaires dans certains pays développés, dont la France. L’aménagement des fleuves est au cœur du présent ouvrage.
Une deuxième raison de s’intéresser aux fleuves est la protection contre les inondations. L’emprise toujours croissante des civilisations actuelles sur les plaines alluviales, domaine en principe réservé de l’expansion des crues, engendre une demande de protection accrue contre ce risque. Les pertes en vies humaines, en récoltes, les dommages liés aux inondations deviennent de plus en plus nombreux, du fait de la croissance démographique et de l’occupation de l’espace inondable ; ces dommages deviennent aussi plus coûteux, du fait de l’importance des investissements réalisés dans lesdits espaces. Enfin on s’attend à ce que les changements climatiques en cours, dus à l’augmentation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, s’accompagnent d’une modification des fréquences des évènements hydrologiques extrêmes, bien que les indices actuellement disponibles ne semblent pas être encore en mesure de la déceler. La demande sociale, dans ce domaine-là, est extrêmement forte également. Les inondations dans le sud de la France qu’ont connues récemment les riverains de fleuves que l’on croyait domptés, ou la tempête Xynthia ayant frappé la côte Atlantique en février 2010, montrent à quel point la vigilance s’impose dans ce domaine, vigilance qui exige la connaissance des mécanismes majeurs de l’hydraulique fluviale ou maritime. L’ouvrage traite de façon exhaustive de tous les problèmes liés aux crues.
Une troisième raison de s’intéresser aux fleuves tourne autour de la qualité des eaux et des écosystèmes aquatiques qui y sont associés. La Directive cadre sur l’eau de la Communauté européenne, publiée en 2000 et transposée en droit français en 2004, en constitue, pour l’Europe, une obligation, avec un délai court fixé à 2015 (avec dérogations possibles pour 2022 ou 2029) pour parvenir à un « bon état écologique des masses d’eau ». Or, tant du point de vue de la cinétique des réactions biogéochimiques se produisant dans les fleuves, que du point de vue du fonctionnement des écosystèmes associés au fleuve, pour la faune comme pour la flore, le régime d’écoulement et la dynamique sédimentaire sont les acteurs principaux qui façonnent les écosystèmes fluviaux et déterminent la qualité des eaux qui y circulent. Dans certaines régions, on élargit maintenant le lit des cours d’eau et on reconstitue des méandres, pour remédier à certains excès du passé et atteindre le « bon état écologique ». La notion récente d’« espace de mobilité des fleuves » en fait partie, et est remarquablement couverte dans cet ouvrage. Le besoin d’une ingénierie écologique des fleuves, capable de préserver ou de restaurer ces écosystèmes, est à nouveau une demande sociale très forte. L’ouvrage y consacre une part très importante. Il faudrait aussi parler du rôle des fleuves et de leur gestion pour la production d’énergie hydraulique, le refroidissement des centrales thermiques, la navigation, les activités récréatives, la pêche et la pisciculture, la beauté des paysages, etc., la liste est longue des domaines où intervient l’ingénierie fluviale que traite cet ouvrage.
Les fleuves sont donc des objets forts complexes, qu’il est nécessaire d’étudier en prenant en compte l’ensemble des points de vue brièvement envisagés ci-dessus, pour en réaliser une bonne gestion. Mais pour savoir gérer, il faut commencer par comprendre. Dans cet esprit, l’ouvrage de Gérard Degoutte fournit tout d’abord les clés physiques et mathématiques de compréhension et de quantification des mécanismes majeurs se produisant dans les fleuves, pour l’écoulement de l’eau dans des systèmes à surface libre, pour le transport des sédiments, et enfin pour la morphogenèse fluviale, c’est-à-dire toutes les évolutions des berges et du tracé du lit du fleuve. Ce livre sait décrire non seulement la complexité mais aussi l’art du métier de l’ingénieur en hydraulique fluviale, qui manie les équations de base de l’hydraulique et du transport par charriage ou en suspension, mais qui sait y associer les règles empiriques de fonctionnement des systèmes naturels, basées sur l’expérience et l’histoire, pour enfin fournir les moyens pratiques de construction ou de restauration des milieux. L’ouvrage fourmille d’enseignements pratiques sur la nature des travaux concrets qu’il faut réaliser pour atteindre tel ou tel objectif, sur les effets d’un aménagement en rivière, sur les moyens concrets d’en mitiger les conséquences indésirables, sur la protection des berges et l’entretien des digues et des cours d’eau, sur le rôle de la végétation, en particulier la reforestation, la végétalisation des berges, sur la lutte contre les inondations, sur l’aménagement de l’espace rural favorisant ou, au contraire, réduisant l’expansion des crues et l’érosion, sur les aménagements propices au maintien de la biodiversité le long du cours d’eau, comme la présence d’une grande variabilité des habitats, ou l’installation des échelles à poisson. Très bien illustré et reposant sur un grand nombre d’exemples concrets de travaux réalisés en rivière ou sur les bassins versants qu’elles drainent, cet ouvrage constitue ainsi un guide pratique à l’usage des responsables de la gestion et de l’entretien au jour le jour des cours d’eau, comme de ceux de la conception et de la réalisation d’aménagements nouveaux. Enfin il devrait servir de livre de chevet à ceux qui sont en charge de la protection contre les risques d’inondation, pour la conception des moyens de lutte, comme pour l’entretien et le contrôle permanent des digues et autres ouvrages de protection.
Publié une première fois en 2006 et déjà épuisé, cet ouvrage de Gérard Degoutte a ainsi prouvé qu’il venait combler un vide très important en ingénierie moderne des systèmes fluviaux. Il est le fruit d’une longue pratique de l’enseignement de l’hydraulique fluviale tant dans les écoles d’ingénieurs qu’à l’université, et le témoin d’un sens remarquable de la pédagogie, le rendant très agréable à lire ou facile à consulter. Cette nouvelle édition, largement enrichie et tenant compte des résultats scientifiques et des observations les plus récents, renforce encore l’intérêt de cet ouvrage, qui prend place désormais dans les « grands classiques » de la littérature scientifique française.
Ghislain de Marsily
Professeur émérite à l’université Paris VI et à l’École des mines de Paris Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies Associé étranger de l’US National Academy of Engineering
Date de parution : 11-2012
Ouvrage de 542 p.
15.5x24 cm